Les derniers asiles
Par L. Baker, L. Beckman, M. Davies, C. Dooley, and E. Dyck
Avec le développement de la psychiatrie basée sur un modèle communautaire dans les années 1960, les hôpitaux psychiatriques canadiens offrant des soins de longue durée furent principalement transformés en centres de services de courte durée. Cette exposition innovante et bilingue retrace la rapidité, l’ampleur et la forme de cette adaptation institutionnelle de même que l’expérience des patients et des membres du personnel impliqués. Chargés de créer un survol national de la désinstitutionnalisation, des chercheurs de partout au Canada ont consulté les archives et les synthèses historiques de diverses institutions pour créer ces Cartes postales de désinstitutionnalisation et encourager la poursuite de recherches sur ce sujet d’intérêt.
Ces recherches nous amènent à constater des taux de dépeuplement institutionnel variables et parfois spectaculaires à travers le pays. Il apparaît toutefois manifeste que le terme générique de désinstitutionnalisation reflète plus que de simples changements dans la démographie des patients institutionnalisés et dans la composition du personnel. En étudiant les statistiques, les initiatives législatives et les rapports gouvernementaux, nous avons relevé de profondes transformations dans la vie des patients institutionnalisés, des praticiens, des administrateurs et du personnel de soutien.
Au sein des anciens hôpitaux psychiatriques, le développement de nouvelles méthodes thérapeutiques entraina des reconfigurations professionnelles et la thérapie par le travail fut remplacée par des formations destinées à développer les aptitudes au travail et à la vie quotidienne afin de mieux préparer les patients à la vie en communauté. L’adoption de nouvelles politiques institutionnelles et le renouvellement de l’offre récréative proposée aux patients reflétaient une réinterprétation du patient, désormais davantage considéré en tant que « personne ». Les institutions vieillissantes eurent de nouveaux mandats et développèrent des programmes qu’il aurait été impossible d’imaginer à l’époque des séjours psychiatriques de longue durée. Certaines institutions fermèrent définitivement leurs portes et devinrent des sites prisés par les cinéastes et explorateurs urbains ou furent démolis et effacés à jamais du paysage.
Le démantèlement des grands hôpitaux psychiatriques était motivé par la volonté de faciliter la réinsertion des patients dans la société. Mais en dépit des ambitions des pionniers de la psychiatrie communautaire, la marginalisation des personnes qualifiées de malades mentales persista et prit de nouvelles formes. La période de transinstitutionnalisation, au cours de laquelle les patients étaient répartis dans des environnements psychiatriques de plus petite taille, parmi lesquels les pensions, les maisons d’accueil, les résidences spécialisées et même les prisons, apparut comme un nouveau modèle et représente peut-être la meilleure approche pour comprendre les grands changements que connut la psychiatrie. Même les anciens patients qui cherchaient à vivre indépendamment trouvèrent souvent que leur vie était gérée trop étroitement par les travailleurs sociaux et les équipes de soins communautaires. D’autres passèrent à travers les mailles du filet lorsqu’à la fin des années 1970 les politiques de réduction des dépenses prirent une place grandissante au détriment de la réinsertion sociale des anciens patients et devinrent le moteur de la désinstitutionnalisation
Dans l’ère post-asile, le maintien des soins fut remplacé par un éventail de traitements prodigués par des médecins du secteur privé et des équipes psychiatriques locales, soutenus par les services d’intervention en situation de crise des départements de psychiatrie d’hôpitaux généraux. L’isolement social, une identité profondément stigmatisée, l’exclusion du monde du travail, la pauvreté constante et même l’itinérance encadrent souvent le sort réservé aux anciens patients. Il est encore facile de percevoir les murs fantomatiques de l’asile d’autrefois parmi les programmes qui constituent aujourd’hui le système de psychiatrie communautaire.