Alimenter la culture survivante

Alimenter la culture survivante

Une multitude de voix et de points de vue trouvent leur expression dans les projets décrits ici. Don Weitz et Bonnie Burstow, les éditeurs de la collection d’avant-garde Shrink Resistant, soutiennent que la psychiatrie devrait être complètement abolie. Bon nombre des recommandations issues du projet Malajusted, en 2013, plaident plutôt pour un financement accru des ressources en santé mentale et l’embauche d’un plus grand nombre de professionnels. Interviewé en 1993 par Irit Shimrat pour sa lumineuse biographie collective du mouvement des psychiatrisés, Lanny Beckman, fondateur de la Mental Patient Association, première organisation de survivants au Canada, a déclaré qu’il était important de comprendre que les survivants n’ont pas à se mettre d’accord. La différence et l’acceptation de la différence sont au cœur de la riche histoire de notre culture, favorisant la prise de parole, la création d’une communauté et la justice sociale.

Partager son histoire personnelle à partir de ses propres termes peut s’avérer une expérience gratifiante et transformatrice. Cela présente aussi certains risques et difficultés. Ainsi vaut-il mieux bénéficier d’une communauté de soutien, comme plusieurs personnes présentées dans le projet l’ont souligné. Sans l’aide et le support de la communauté lesbienne féministe de Vancouver, par exemple, aucun des projets Still Sane n’aurait été possible. De même, les membres de Solidarité-Psychiatrie, à Montréal, ont eu besoin d’un soutien communautaire afin d’assurer la survie de leur organisation et d’offrir un cadre sûr permettant le partage des témoignages personnels qui ont permis au film «fou» d’atteindre un public pancanadien.

La culture survivante requiert également un public réceptif. Certains ouvrages présentés ici, Shrink Resistant, Call Me Crazy et La Folie comme de raison s’adressaient surtout à d’anciens psychiatrisés et ont été essentiels au développement d’une identité collective. Il est important de réaliser des projets ciblés comme ceux-ci au sein de communautés émergeantes à partir desquels des artistes et écrivains peuvent créer et explorer. Il en fut de même pour les premiers ouvrages des mouvements queer et féministe. Il est essentiel aussi d’avoir des projets qui diffusent les idées des survivants dans des milieux plus larges. Still Sane l’a fait dans les années 1980 en établissant des ponts entre les regroupements de personnes psychiatrisées et le mouvement féministe. Trente ans plus tard, Crazymaking le fait en tissant des liens de solidarité entre les survivants et les communautés autochtones. Le projet théâtral Maladjusted a quant à lui souligné le large éventail de problématiques liées à la santé mental en demandant aux spectateurs de lever leur main si les enjeux présentés dans la pièce avaient une résonnance pour eux. À chaque représentation, la plupart des spectateurs levaient la main.

Bien que le soutien communautaire fut essentiel à l’ensemble des projets, leur succès reposait souvent sur les actions d’individus clés. La passion et le travail acharné de personnes comme Don Weitz, Bonnie Burstow, Irit Shimrat, Tania Willard, Robert Letendre et Chantal Saab ont fait en sorte que des livres ont pu être publiés, que des expositions d’œuvres d’arts ont été tenues et que des pièces de théâtre ont été jouées, l’individu devenant collectif.

Bien sûr tous ces projets nécessitaient du financement pour permettre leur diffusion. Dans certains cas, des organisations artistiques progressistes bien établies, disposant de ressources non négligeables, comme le Theatre for Living et la Gallery Gachet ont contribué au financement. Dans d’autres cas, les individus à l’origine des projets ont dû contribuer de leur poche et dans ces cas, le support de la communauté fut essentiel. Aussi, chaque projet présenté ici a bénéficié de l’aide de l’État, qu’il s’agisse de subventions du Conseil des Arts du Canada ou d’instances provinciales. La tendance à réduire continuellement le financement des arts et des organismes communautaires met toutefois en péril la capacité des artistes et survivants à créer des projets indispensables comme ceux présentés ici.